Castel et rumeur
Comme promis notre premiere réflexion liée au forum du Castel
Il sera facile aux lecteurs de faire les liens avec les articles du Forum
LA RUMEUR
La rumeur profite, croit-on, à ceux qui la propagent. Mais, souveraine et incontrôlable, la rumeur n'a pas de maître ; elle peut se retourner contre ceux qui cherchent à la manipuler ; elle n'épargne personne. Puissante et souple, c'est une parole oblique, pleine de ruses et de tactiques inattendues. La rumeur est surtout un bruit terriblement efficace qui court sur toutes les lèvres, très vite, et porte avec elle bien plus la force des émotions que l'information des mots. Elle n'a aucun fondement et c'est là sa définition la plus irréductible peut-être. Si elle était vérifiable, elle ne serait plus. La rumeur n'existe que d'être un emballement répété de l'imaginaire social ; dès qu'elle cesse de circuler, elle s'éteint.
La rumeur se murmure, se chuchote, serpente à travers toutes les couches de la société puis se gonfle et se répand comme une épidémie. Certains en ont conclu qu'il s'agissait d'un phénomène social pathologique, d'une maladie qui germerait en situation de crise et qu'il convenait donc de la comprendre pour la vaincre et en guérir le corps social.. Si la rumeur raconte l'histoire de la population où elle circule, elle dit aussi les biais et préjugés idéologiques .
La rumeur fait peur.
Il est étonnant de constater que depuis Homère et Hérodote, et malgré les progrès technologiques les plus sophistiqués, le mode de communication social le plus permanent et émotionnellement le plus puissant, soit toujours celui du oui-dire, de la bouche bavarde qui se penche sur l'oreille curieuse. Ainsi depuis toujours, avec plaisir, se parlent les hommes.
La logique de la rumeur n'est pas celle de la raison. Pour exister, il lui suffit de circuler, d'être sans cesse en mouvement ; elle se nourrit d'elle-même. Elle n'a pas besoin d'être vraie, ni même vraisemblable pour être colportée, encore moins vérifiable. Elle ne réclame ni preuve ni foi : ceux qui la propagent ne doivent même pas y croire et ceux qui tentent de la démentir et de la contrôler, souvent la renforcent. Une fois énoncée, il en reste toujours quelque trace — puisque pour la sagesse populaire il n'y a pas de fumée sans feu.On la dit « bien informée » et « autorisée » mais sa source reste en fait inconnue, diffuse, anonyme et chacun s'en va répétant une parole venue d'ailleurs dont personne ne se sent responsable.
Parfois obscène, toujours médisante, calomnieuse, agressive, la rumeur récite, comme une incantation conjuratoire, la crainte d'être lésé, empoisonné, trompé, trahi, battu, volé, violé, persécuté. Elle ne peut donc être le fruit que de frustrations profondes , de déserts psychologiques , sociaux , affectifs , voire sexuels ,de dogmes religieux , économiques.
Mais la rumeur est avant tout un phénomène de communication sociale et obéit donc à une logique collective. Elle apparaît au sein d'une population à un moment donné de son histoire. Elle dépend de la structure institutionnelle des différents groupes et sous-groupes de la population (hiérarchies de pouvoir, de prestige, de propriété, de savoir, d'argent...), de leur structure affective informelle (affinités, influences, coalitions...), des attitudes à l'égard du contenu de la rumeur avant l'apparition de celle-ci. La rumeur est avant tout un phénomène de communication sociale et obéit donc à une logique collective.
Comme un écho, d'une bouche à l'autre, la rumeur se répète mais des oreilles infidèles aux lèvres trompeuses, elle se déguise, s'amplifie, se concentre, se métamorphose .De ses transformations, le hasard n'est pas le maître. Elles répondent à des mécanismes cognitifs précis. Cette transformation simplifie l'écheveau des tensions sociales : il n'y a plus que des bons, tout-bons et des mauvais, tout-mauvais ; face-à-face des traîtres et des innocents comme dans les histoires d'enfants.
Les traits essentiels du message sont accusés, renforcés, on pourrait presque dire caricaturés.. La rumeur, qui se présente comme une affirmation presque toujours négative relative à un sujet, et souvent même: offensivement agressive, se trouve encore accentuée dans sa négativité.Plus le message initial est riche en information et plus la perte d'information sera importante au relais suivant, et cela jusqu'au moment où le message atteint son point d'équilibre. Ce mécanisme s'explique par un processus d'économie de la mémoire et met en évidence la présence de « filtres » de la pensée sociale qui captent de préférence ce qui correspond à des attitudes ou des croyances préexistantes. Les hommes n'entendent que ce qu'ils attendent déjà...
Selon le mecanisme inconscient du clivage, la peur intérieure est projetée sur un « persécuteur » désigné et très clairement identifiable à l'extérieur du groupe d'appartenance, ce qui justifie ensuite une « légitime » contre-attaque .Ce mécanisme, qui joue dans d'autres phénomènes sociaux comme le racisme par exemple, consiste è englober le sujet initial de la rumeur dans une classe plus large. Cette extension révèle les attentes et les préjugés du groupe et il n'est donc pas étonnant de voir les rumeurs se communiquer souvent sous la forme de stéréotypes verbaux préexistants, qui contribuent d'ailleurs ainsi à les renforcer. La rumeur emprunte des sillons déjà balisés.
La diffusion de la rumeur trouve peut-être sa puissance dans ce mécanisme qui provoque la crédulité et la confiance, non dans l'information véhiculée mais dans l'informateur, puisqu'on le connaît personnellement et qu'il se dit fort proche de l'origine. Proche mais jamais en contact direct, le porteur de la rumeur ne détient pas assez d'éléments pour vérifier l'information qu'il véhicule, tentation qui ne semble d'ailleurs effleurer personne. Comme si chacun désirait voir la rumeur courir un moment encore...
Très souvent vague et indéterminée, la source de la rumeur peut être attribuée à des personnes proches d'un témoin supposé, lui, direct. « La femme d'un policier a dit à sa voisine qui est ma copine que... » Ainsi, chaque nouveau transmetteur supprime les nombreux maillons intermédiaires et se rapproche, en même temps que la personne à qui il s'adresse, de la source présumée. À chaque relais, la chaîne de transmission ne paraît posséder que trois ou quatre maillons.
Pour charmer ou persuader, certaines personnes ajoutent des détails, souvent de leur cru : ce phénomène souvent transitoire accroît la crédibilité du message en donnant le sentiment que le transmetteur est bien informé. Comme l'écrivait Montaigne : « Quiconque croit quelque chose, estime que c'est ouvrage de charité de la persuader à un autre ; et pour ce faire ne craint point d'ajouter de son invention, autant qu'il voit être nécessaire en son conte, pour suppléer à la résistance et au défaut qu'il pense être en la conception d'autrui. » (Essais, III II.)
Ce n'est pas une des moindres ruses de la rumeur de ne s'appuyer sur rien. Aucun fait réel, en dépit de la croyance populaire, ne vient étayer ce murmure des foules, pas le plus petit feu, fût-il de paille, ne peut justifier fumée si abondante. Mais alors, qu'est-ce qui fait courir la rumeur ? Pourquoi tant de bruit pour rien ?
Pour dire la peur et lui donner un visage. Pour énoncer le désir et l'angoisse, et dénoncer un bouc émissaire et surtout pour se sentir solidaires, comme si les hommes, toujours, se fondaient en s'opposant.
La rumeur raconte les tensions sociales, elle ne les crée pas. Elle offre aux fantasmes collectifs une voie de circulation, une mise en scène, parfois dramatisée. Plus que des informations, elle laisse apparaître et exaspérer des émotions refoulées.La rumeur est une transaction collective, une entreprise commune, peut-être la forme de communication la mieux partagée du monde. À travers elle, c'est une consommation de relations sociales qui s'opère, ce sont des liens de voisinage, de parenté ou d'amitié qui se renforcent, ce sont les traits d'un adversaire fantasmatique qui se dessinent.
Les forces les plus vives, la rumeur les trouve dans le combat de purification magique contre l'ennemi, l'étranger,l'autre diabolique. À l'impuissance de tous se substitue ainsi la toute-puissance d'un seul .Le choix d'un bouc émissaire l'emporte toujours sur les stratégies de la lucidité car,à ceux qui s'en nourrissent, rumeurs et boucs émissaires offrent l'illusion de l'innocence.
LA PEUR DE L'AUTRE N'EST QUE LE REFUS DE L'ACCEPTATION DE SOI
Voila pour ces premieres réflexions . J'espère que certains auteurs de messages sur le forum auront apres cette lecture envie de prendre un miroir.... Encore que .....
biblographie : F . Martens ( articles ;entre chiens et loups : le carré raciste, ...)
........................."Textes fondamentaux de psychologie sociale " ( Dunod 1965)